TEASER LA ZAMPA >>>
Montage
Vincent Capes - 2018
Images
Dream On Track 1, La Tombe du plongeur, Call me SAND,
Requiem, Spekies - Loran Chourrau / Le Petit Cowboy
Appeau - Vincent Capes
Opium - Estelle Brun
Bleu - Sophie Laly
MAGALI MILIAN & ROMUALD LUYDLIN
Chorégraphes et interprètes
Magali Milian fait ses gammes au conservatoire d’Avignon et au CNDC d’Angers.
Romuald Luydlin se forme en Buto avec Sumako Koseki et auprès de maître Kano en théâtre No.
Ensemble, ils pratiquent l’aïkido et cultivent différentes approches du corps.
Tous deux chorégraphes et interprètes, ils co-signent petites formes, pièces de groupe, court-métrage, performances, installation sonore, formes concert.
Leur lien avec la musique et le chant se précise lors de la commande DANS LE COLLIMATEUR à DSN Dieppe Scène Nationale. D'abord immergés auprès du collectif belge RED SNIPER (Patrick Codenys, musicien et Kendell Geers, plasticien), ils poursuivent ces chemins de traverse puis engagent une collaboration avec le Centre National de Création Musicale/Albi. Leurs pièces LA TOMBE DU PLONGEUR, CALL ME SAND et DREAM ON, présentées sur des scènes de musiques actuelles, marquent une étape dans la perception de la relation public/plateau. Et au côté du guitariste Marc Sens, ils ouvrent à partir de 2010 un nouveau chapitre, avec REQUIEM notamment, pièce largement diffusée en France et sur de nombreuses scènes internationales — Performance Mix Festival Joyce Soho et Center of Performance Research "Chez Bushwick" / New York, Studio 303 / Montréal, Festival Fabbrica Europa per le Arti Contemporanee / Florence, Teatro Metastasio / Naples...
Les collaborations avec la rappeuse Casey, le metteur en scène Bruno Geslin, le collectif d'auteurs les Habits Noirs (Caryl Férey, J-B Pouy) et le chorégraphe Alain Buffard jalonnent leurs parcours. Attirés par les nouvelles configurations, ils mettent en place à Paris, Berlin, Toulouse ou Barcelone divers laboratoires de recherche INVESTIGATIONS.
Dans cette dynamique, ils rejoignent avec SPEKIES le programme Européen Modul Danse/EDN et sont Artistes Associés au Théâtre de Nîmes de 2014 à 2016.
Depuis, divers chantiers protéiformes voient le jour avec notamment BLEU, dispositif conçu pour des espaces plus insolites, PIXIES 9CH installation sonore et performance de Valérie Leroux.
De 2019 à 2021, ils se consacrent à une réflexion autour de "l'interrègne", leur permettant d'appréhender deux motifs particuliers : Le motif de la nuit convoqué dans DEVENIR HIBOU (pièce adressée au jeune public) et celui du consentement à la nuit qui prend l'allure d'une incessante respiration dans LA BELLE HUMEUR.
En 2022/2023, ils sont Artistes Associés au Théâtre Molière de Sète, scène nationale archipel de Thau, et ouvrent depuis, aux côtés de Marie Reverdy, dramaturge, et Laurie Bellanca, collaboratrice artistique, un espace de création et de collaboration auprès d'Elise Peroi, plasticienne textile, et Hervé Mazurel, historien des affects et des imaginaires, dans le cadre du projet Empire.
LA ZAMPA, Pour une esthétique de la présence
Marie Reverdy
"Qui d'autre au monde connaît quelque chose comme le corps" ?
C'est le produit le plus tardif, le plus longuement décanté, raffiné, démonté et remonté de notre vieille culture. Si l'Occident est une chute, comme le veut son nom, le corps est le dernier poids, l'extrémité du poids qui bascule dans cette chute. Le corps est la pesanteur. Les lois de la gravitation concernent les corps dans l'espace.*
Tout pourrait commencer par l’histoire d’une chute, ou plutôt l’expérience d’une chute : le moment du basculement, le vide, la sensation d’un temps aboli malgré la vitesse, la sensation de flotter malgré le poids, la conscience de l’inexorable et la fulgurance avec laquelle tout cela se termine.
La corporéité qui est à l’œuvre dans le travail de Magali Milian et de Romuald Luydlin pourrait s’ordonner selon le désordre apparent du corps en train de chuter. Si le corps cherche en vain, dans cette chute, la résistance de l’air, il ne subit pas pour autant les affres de sa conscience. Car la chute est événement et ne se constitue pas en récit. Le corps en chute est un corps qui n'a pas de distance avec ce qu'il est en train de vivre. Il éprouve une durée pure, qui ne saurait s'apparenter à un temps dans la mesure où celle-ci est vide de tout projet. Le travail chorégraphique de la Zampa explore ce temps précis, celui pendant lequel le corps explore le vide, indépendamment des causes qui ont provoqué ce basculement.
La rencontre de Romuald Luydlin avec les arts japonais – danse Butô et théâtre Nô – manifeste par ce biais son influence. La Zampa emprunte en effet au théâtre Nô son dépouillement et sa temporalité particulière : celle de la suspension du mouvement qui se nomme, en japonais, le Mie (見えou 見得), visant à accroître l’intensité du geste. De même la danse Butô, en tant que « danse du corps obscur », relève d’un travail intensif de l’introspection et se caractérise, outre les sujets tabous qu’elle souhaite explorer, par la lenteur de son exécution.
Car si la chute ne se laisse pas saisir pour celui qui la regarde, il en va autrement pour celui qui l’éprouve : le corps en chute vit l’arrêt du temps. Cette brèche entrouverte dans la conscience, cette fraction de seconde qui s'éprouve avec tout le poids de la durée, se manifeste dans l’œuvre par une esthétique de la boucle (Opium), de l'arrêt (Requiem) ou de la variation (Dream On, Spekies).
Si le temps est cette dimension du réel qui rend possible le changement, la Zampa travaille à en explorer le processus plus que la finalité, un temps qui se construit sans projet, une durée qui ne parle que d'existence.
Le corps des interprètes, et leur mouvement, ne renvoient à rien d'autre qu'à eux-mêmes. Aucune cause lisible, intelligible, n'ordonne le mouvement. Le corps se meut selon une nécessité organique dont l'intentionnalité est difficilement repérable. Il répond à ses propres lois. En ceci la Zampa met en scène un corps résistant, un corps-en-soi, irréductible. Un corps philosophique, un corps en chute qui n'a que faire du sujet qu'il incarne, un « système de raison » :
« Le corps est un grand système de raison, une multiplicité avec un seul sens, une guerre et une paix, un troupeau et un berger.
Instrument de ton corps, telle est aussi ta petite raison que tu appelles esprit, mon frère, petit instrument et petit jouet de ta grande raison.
Tu dis « moi » et tu es fier de ce mot. Mais ce qui est plus grand, c’est - ce à quoi tu ne veux pas croire - ton corps et son grand système de raison : il ne dit pas moi, mais il est moi. »**
Nous assistons au spectacle d'un corps qui chute sans le savoir. Un corps qui affirme sa présence et manifeste sa volonté d'être-là. Que ce soit pour Requiem, Dream On, Spekies ou Opium, la Zampa favorise une écriture chorégraphique de la maîtrise qui se construit sur la tenue, sans cesse maintenue, d'un corps qui ne perd jamais la conscience qu'il a de lui-même. En procédant ainsi, le corps des interprètes devient champ de force, densité, système d'attraction.
La Zampa travaille à la fascination qu'exerce le corps mis en image, lorsque celui-ci est hybride, au visage masqué, grimé, sans devenir signifiant pour autant. Le corps mis en image est un corps qui saisit l’œil, car il pose une énigme au regard. La qualité de présence du corps se fait alors d'autant plus pure, épurée, essentielle, qu'il échappe à toute forme d'identification. Le corps-image n'est pas représentation, il est mouvement.
En effet le corps de Magali Milian, aguerri à la fluidité de la technicité contemporaine, est en prise à l'exercice de la résistance, de la nécessité et de la réponse aux contraintes induites par la pratique de l'aïkido. Ce corps qui chute sans le savoir évite méthodiquement les obstacles qui viendraient perturber son parcours. L'écriture chorégraphique s'organise alors selon une recherche constante de l'équilibre et une quête insatiable de la stabilité. Le corps en chute trouve sa quiétude dans le mouvement, car l'immobilisme abolirait toute forme d'ambition. Ainsi, le travail de la Zampa interroge l'élan de survie, refusant que les corps s'abandonnent ou soient laissés à l'abandon.
Et pourtant, ce corps philosophique qui chute sans le savoir est un corps existentiel. Car bien qu'il n'éprouve pas l'angoisse, il est à même de nous la faire sentir. En se mouvant, il nous met face à nos vertiges, à notre peur du vide, et au risque que nous encourons de nous jeter nous-même dans le néant. Le travail musical, en grande partie réalisée par Marc Sens, est le signe le plus viscéral qui exprime la menace. Mais celle-ci est sourde, presque lointaine, sereine, nous la contemplons sans la craindre et faisons face au subtil alliage de l'innocence, de l'angoisse et de l'extase.
* Jean-Luc Nancy, Corpus, (suivi de De l’Âme), Editions Métailié, 2000.
** Friedrich Nietzsche, « Des contempteur du corps », Ainsi parlait Zarathoustra, Traduction d'Henri Albert, Société du Mercure de France, 1903 [sixième édition], Œuvres complètes de Frédéric Nietzsche, vol. 9, pp. 45-47.